Retour à la capitale

Cette newsletter est de retour avec un concept différent : une plongée autofictionnelle dans un univers parsemé d'espoir, de littérature, de champagne, d'amitiés et d'appels à la CAF.

plume insolente
4 min ⋅ 11/09/2024

Mercredi, je monte dans le métro, toute apprêtée et les larmes aux yeux. Le cerveau en ébullition, j’observe mon reflet dans la vitre du wagon et je me demande qu’elle aurait été ma problématique amoureuse si j’avais été candidate pour la villa des cœurs brisées. Avant de m’assoir, je vois qu’une femme aux lunettes rondes et à l’air pressé convoite le même siège que moi. Poliment je lui cède la place alors qu’elle se situe en fin de trentaine, pas de quoi la considérer comme une impotente, et au moment ou j’attends sa réaction je me dis tu vois c’est ça et ta beauté et ton problème ; ta délicatesse n’est jamais perçue par les hommes que tu fréquentes. Elle finit par me laisser la place, et je me répète que je devrais vraiment aimer les femmes.

Yanis Bessette

Dans le sac vintage que m’a donné mima avant sa mort, une autre femme gronde des paroles contrariées : Ovidie crie que la chair est triste hélas ! J’affiche de manière ostentatoire cet essai comme on porte sa main de Fatma pour chasser le mauvais œil.

Derrière une femme en colère se cache souvent une femme triste de ne pas avoir été considérée à hauteur de ce qu’elle a pu donner. Alors on en vient à tirer deux conclusions : l’une bancale « je ne suis pas digne d’être aimée », l’autre plus objective « on ne s’investit pas comme je le voudrais ».

 Je pose le livre et la glose sévère de ma consœur pour scroller mollement les stories instagram, un œil observe les rentrées littéraires et les photos de couple et je ris car sur trois d’entre elles, deux des hommes m’ont proposé un verre. Je ne leur en veux pas d’être heureux sans moi, au contraire, et dans un élan d’orgueil je me dis que si je l’avais voulu c’est moi qui serais de l’autre côté du téléphone entrain de capturer leur joie, et puis la musulmane réapparait, il faut se réjouir du bienfait que vit autrui. Alors je m’exécute avec plus ou moins de sincérité.

Un autre œil guette furtivement le logo de la frustration aka les messages privés. Pas de réponse d’Edouard. Quel batard. Le métro s’arrête à Etienne Marcel, il me reste huit arrêts avant de descendre à Montparnasse. J’essaie de sourire car je sais que je m’apprête à revoir Pola, à serrer Carlito et rire avec Gabriel. Je sais que cette soirée va me faire du bien.

Je monte les marches en direction du hall central, un homme m’écrase le talon « pardon » lance-t-il en accompagnant ses excuses d’un geste de désolation. Au moins un qui s’excuse.

Depuis l’escalator, j’aperçois le ciel dégagé, traversé de touches rosacées. Cette beauté du ciel je la prends pour un sourire de Dieu, le ciel n’est jamais bleu ni dégagé à Paris, pour une fille du sud il est difficile de s’y habituer. Alors je me dis que Dieu m’accompagne dans mon acclimatation de début de rentrée. Je ne suis pas certaine qu’il ait sourit à mon dévergondage de mardi soir, effectivement je n’ai rien d’une enfant de cœur mais je le cœur à aimer Edouard. Je pensais en avoir fini avec ces espoirs adolescents, vulgaires et naïfs. Je conclue pourtant que, ce jeune homme de vingt-quatre ans, de l’âge de mon petit frère, ce jeune homme donc, pas aussi ignare que le jeune homme d’Annie Ernaux, mais pas aussi intéressé, pas aussi doux que lui malheureusement, cet Edouard donc, que je maudis depuis le claquement de ma porte jusqu’au bar, cet Edouard, j’en pleure de rage.

Une fois arrivée au bar, mes amis m’étreignent avec vigueur, j’ai le sentiment alors de respirer normalement en dépit de la pollution et du vent. Au fil des verres je leur raconte ma soirée de la veille, et l’inclination vers laquelle mon cœur cède.

Pola et Carlito m’assènent alors de la même conclusion : passe au suivant.

Passe au suivant. Je ne fais pas mes courses dans un hypermarché et je ne regarde par les fruits en me demandant le quel est mure ou non, d’ailleurs c’est peut être mon tort.

Et quand bien même je m’attèlerai à une telle entreprise, en poussant mon cadi, je repenserai à Edouard, à son corps nue dans la baignoire. Son corps musclé et saillant. Son teint hâlé de portugais débarqué de vacances. Il me prend par les sentiments, il sait que j’adore la peinture, elle est ma madeleine de Proust. J’ai constitué mon univers imaginaire et onirique en observant à six ans l’intérieur aux aubergines et ses couleurs post fauvistes, la tension dramatique de la mort de Messaline imaginé par Biennourry, et c’est face à une toile que j’ai de nouveau pensé à lui cet été, alors que je m’étais convaincue de son insignifiance, une présence de passage comme une autre. Mais c’est chez lui que je fêtai mon retour à la capitale hier soir. C’est dans son atelier que je m’émeus de son bleu de travail, de la toile immense représentant un amour déchu, les murs noirs et les tâches de couleurs partout, des livres et des vêtements disposés ici et là. Cette ambiance je l’affectionne car au fond je la connais, c’est celle de l’empressement à créer. Edouard est jeune mais Edouard est talentueux. La première fois que j’entends parler de lui c’est depuis la bouche de notre ami.e commun.e, Leila. On marche dans une rue de Strasbourg Saint Denis après un apéro entre amis, iel me parle de son ami peintre, de son exposition, des toiles réalistes à la lisière d’un certain expressionisme, iel loue son travail avec une telle conviction que je me hâte de le rencontrer.

Photo : Yanis Bessette

 Mardi soir, j’ai embrassé Leila sur la terrasse pendant que Ed et Léa discutaient à l’intérieur entre les chips au barbecue et le champagne acheté à la superette. Avant les vacances c’est à Leila que je pensais. Je me disais qu’iel était décidément unique, d’une profondeur d’âme rare et délicate. Je me remémorai souvent nos baisés fougueux et toute la tendresse que je ressentais près d’iel. J’ai beau écrire Leila, j’ai beau écrire iel, Leila n’en reste pas moins éduqué d’abord par une société patriarcale qui le.a voie comme un homme et le.a considère comme tel. Et peu importe toutes les déconstructions établies avec plus ou moins de douleurs et de respirations tant attendues, Leila a d’abord appris à cultiver le flou dans ses relations émotionnelles avec les femmes. Quand je lui demande « qu’est-ce que tu veux » Leïla répond « je ne sais pas, je ne me pose pas la question ». Quand je demande à Edouard ce qu’il veut, il ne me répond pas. Durant la soirée, lorsque Léa et Leila finissent par rentrer, je m’installe près du peintre et très vite, nous nous retrouvons nus sur son lit, et moi comme une saute, j’espère que sa tendresse viendra rompre la sorcellerie que les autres ont infligée, la sorcellerie du flou, du non-dit, de la négation des émotions, de la réfutation du ressenti. Si Edouard fait preuve de tendresse ce soir peut être que j’y croirai un peu. C’est très certainement injuste de lui faire porter à lui seul l’abolition de la déception. Puis Edouard baise et s’allonge de l’autre côté du lit. Je ne pleure plus de honte, on est jeune quand on baise dans l’espoir d’être aimé. A trente ans on tue la candeur. Mais allez savoir pourquoi la lumière n’en finit pas de réchauffer notre joue même dans l’obscurité du tunnel. Sa tendresse aurait pu être une raison de continuer à marcher jusqu’à la sortie, et vivre enfin pleinement illuminée.

Amore Pauline

plume insolente

Par Melinda Alqamar

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