recommandations théâtrales depuis Avignon
Bonjour, Bonsoir à toustes !
Bienvenues dans ma newsletter terre virtuelle de réflexions et de recommandations culturelles.
Avant de parler du sujet du jour qui est « la trentaine lorsqu’on est une femme » je voulais vous faire part de deux pièces de théâtre qui ont marqué mon passage au festival d’Avignon.
Petit point historique, le festival d’Avignon a été crée par Jean Vilard en 1947 avec l’aide de Jean Rouvet. Initialement, le festival comptait trois mises en scène, aujourd’hui on recense plus d’un millier de spectacles. Il s’agit du plus grand festival de théâtre au monde. Rien que ça. Le directeur du festival est l’artiste portugais Tiago Rodrigues depuis 2023, il succède à Olivier Py lui-même directeur du théâtre du châtelet à Paris, mais on parlera de la mafia des politiques culturelles un autre jour.
Comme chaque été, je me suis rendue au festival. Je vais vous recommander un spectacle du in
(Théâtre subventionné par l’état aussi dit théâtre public) et un spectacle du off ( théâtre privé).
Je suis donc allée voir LACRIMA, le nouveau spectacle de la metteuse en scène de renom Caroline Guiela Nguyen. Au plateau elle traite de l’intime, des sujets qui ont déserté les plateaux de théâtre, ses héroi.nes sont des personnages d’arrière-plan dans les récits habituels. Pour ne rien gâcher, elle insère dans ses créations une multiplicité de langues afin de retranscrire différentes trajectoires de vie et se rapprocher de nos réalités.
Lacrima met en avant la mission d’un atelier de haute couture parisien qui est de confectionner la robe de marier de la future princesse d’Angleterre, nous suivons également la confection du voile dans l’atelier d’Alençon. Entre Paris, Mumbai (où se trouvent des artisans relégués à de la main d’œuvre bon marché) et Alençon nous assistons aux coulisses de cette mise en œuvre d’exception soumise à un contrat de confidentialité qui ressemble à un secret d’état. A cette aubaine professionnelle sous haute tension vient se mêler l’histoire personnelle des personnages. Des questionnements interviennent dans l’esprit du spectateur sans tomber dans la binarité. Ainsi est mis en exergue les conditions de travail en Europe et en Inde, le temps de production et le poids des apparences.
crédit Jean-Louis Fernandez
Le travail de Caroline Guiela Nguyen et de ses équipes est grandiose, du grand théâtre, porté par une scénographie naturaliste impressionnante, un jeu d’acteur époustouflant surtout quand on sait qu’elle mêle un casting professionnel et amateur, un jeu de lumière subtile et pertinent.
La critique que j’émets, et c’est la réflexion que je me fais depuis quelques années, est le manque de respiration. La tonalité principale est pathétique, porté par un théâtre narratif et documentaire certes mais ce ton pathétique n’est contrebalancé par un aucun autre ce qui peut être suffoquant. Quoi qu’il en soit je vous encourage à aller voir ce spectacle qui est programmé au théâtre de l’Odéon pour janvier 2025.
Il s’agit d’une pièce adaptée du roman de Bertrand Guillot. L’histoire revient sur la nuit mémorable du 4 aout 1789 durant laquelle l’Assemblée nationale constituante vota la fin des privilèges féodaux qui fut un événement central de la Révolution française.
crédit la singulière
La question étant pleinement d’actualité pour d’autres raisons que vous connaissez, le géni d’Hugues Duchenes réside à la fois dans le fait de transposer une nuit marquante dans l’acquisition de nos droits à un contexte contemporain qui s’y prête. Mieux encore, grâce au dispositif quadrifontal et la prise à parti de certains spectateurs, le seul en scène porté par Maxime Pambet est vivant, limpide, sa performance incisive et juste. On ne s’ennuie pas un instant, on réfléchit, on apprend, on savoure. Je recommande, la pièce est jouée à Avignon jusqu’à la fin du festival.
Je vous écris ces quelques lignes depuis une chambre drômoise. Je possède une véritable obsession pour les bureaux disposés face aux fenêtres et c’est tout naturellement que je vous écris, le regard bercé par une perspective aux tonalités bleues et parmes (Baudelaire sort de ce corps). Ce ciel du sud, c’est lui qui m’inspire durant deux mois, il contraste avec le ciel grisonnant de la capitale.
A Paris aussi mon bureau donne sur le ciel, et parfois je lui confesse une angoisse qui me traverse : l’approche de la trentaine.
Lorsqu’on est une femme qui arrive à la trentaine la société nous rappelle avec joie notre âge et la norme des gens de cette tranche. Fini l’insouciance. Maintenant on parle finance, placement, taux immobilier, éducation positive, crèche, post-partum, couple ouvert, couple à nouveau exclusif, la cagnotte de ludo pour ses trente-trois ans, conv whatsapp des copaines du lycée ou de la fac, promotion.
Face à ces injonctions tacites, l’étau se resserre et moi dans tout ça, je me sens comme Nora Hamzawi sur le divan de son psy, je contemple l’aliénation du bordel. Encore une fois je n’entre dans aucune case et l’entourage et la vie des gens de mon âge me poussent à me demander si ce n’est pas moi qui suis en retard ? Alors pour garder espoir avant de souffler mes 30 bougies en 2025 je vous partage ma problématique du moment : quelles sont les perspectives réjouissantes lorsqu’on arrive à trente ans ?
N’allons pas trop vite en besogne, tout d’abord parlons des sujets qui fâchent. Peu importe le genre, le cap de la trentaine semble désigner un passage vers la stabilité à plusieurs niveaux : professionnel, financier, relationnel, amoureux. On pourrait parler de l’idée de « se poser » d’ailleurs cette expression bien qu’elle soit souvent destinée aux queutards du lycée ou aux marseillais de télé réalité, le verbe se poser renvoie à des sémantismes intéressants : dans son sens premier le verbe pronominal « se poser » signifie s’arrêter doucement sur quelque chose, le deuxième sens renvoie au fait « d’atterrir » quelque part, et le troisième (de façon imagée) à l’idée de s’attribuer un rôle « se poser en figure de … »
Comme vous le savez, ni les mots ni les expressions employées ne sont anodines et de manière tacite la langue façonne nos perceptions. Et lorsqu’on arrive en fin de vingtaine, on nous adresse cette expression à tout va.
« Se poser » est pour moi l’allégorie de la trentaine ; l’idée d’un endroit sur lequel atterrir afin d’endosser un rôle qui met à distance notre individualité au profit de quelqu’un ou de quelque chose d’autre, se poser comme un oiseau sur une branche afin d’y fabriquer son nid car la vingtaine aurait consisté à trouver le bois nécessaire à sa construction. « Se poser » c’est donc être actif à l’intérieur d’un modèle naissant mais se poser renvoie également au sème de l’immobilité, l’antonyme de « se poser » est tout de même la notion de mouvement. Le tragique de cette expression repose dans le sous texte : on se pose lorsqu’on a suffisamment joui des distractions extérieures, mais qu’en est-il des personnes qui n’ont pas assez vécu et qui désireraient pourtant se poser ? Et si on ne se connait pas encore assez ? Si nos rêves n’ont pas encore pris forme et que d’autres arrivent, l’étau encore une fois se resserre.
A vingt ans on sait qu’on a au moins dix ans devant soi pour se tromper, réajuster ses envies d’orientation, une décennie pour se sonder se comprendre, ces espaces sont plus rares une décennie plus tard ou alors on ne les représente pas.
Si on souhaite gravir les échelons, surtout en tant que femme, et assouvir une ambition professionnelle, la trentaine est l’âge décisif et c’est aussi le moment où la famille se crée pour celles qui le désirent et on ne va pas se mentir beaucoup le désir ou répondent à ce modèle. J’ai toujours vécu ce timing comme une incompatibilité à allier vie personnelle, couple/ famille et épanouissement professionnel. Je vis ce constat comme le drame sexiste de notre époque. D’une part contre l’horloge biologique et d’autre part à l’encontre des entreprises qui mettent une pression monstre aux femmes enceintes et aux mères. Ce n’est pas une référence mais au micro d’In power Léa Salamé expliquait qu’elle avait eu son fils « tardivement » car elle privilégiait sa carrière et que cette dernière se construisait entre nos trente et quarante ans. Bien sûr, elle est privilégiée financièrement et culturellement mais entant que femme, elle a quand même dû se plier à cette règle de l’enfant « tardif » pour monter en grade et arriver là où elle en est aujourd’hui.
Le problème avec la trentaine lorsqu’on est une femme qui veut des enfants et qui a des ambitions, c’est qu’on ressent une pression, comme s’il fallait sprinter vers la ligne d’arrivée. Je vois très bien que les femmes qui n’ont pas de désir d’enfants sont plus allégées que les autres. Elles ont évidemment d’autres problématiques à prendre en ligne de compte, pour les autres peuvent s’ajouter le fait que vous ne soyez pas hétérosexuelle ou cisgenre ou que pour X ou Y raison vous ne désirez pas avoir de partenaire ou que l’amour ne s’est pas présenté mais vous voulez quand même fonder une famille.
Être une femme dans la trentaine demande une sacrée projection et organisation en amont. Je vais revenir sur cette histoire d’horloge, c’est frustrant de ne pas avoir la main mise sur son propre corps.
Biologiquement les études scientifiques ont prouvé que la fertilité pouvait s’étendre jusqu’à quarante ans. Ce constat est à nuancer car d'après une autre étude, avant 30 ans, la probabilité de tomber enceinte en un an est de 85 % ; à 30 ans, cette probabilité est de 75 % ; et à 35 ans, ce chiffre chute à 66 %. À 40 ans, la probabilité de tomber enceinte en 12 mois est de 44 %.
« La fertilité s'étend sur un continuum, » déclare Sandra Ann Carson, endocrinologue de la reproduction et gynécologue-obstétricienne à l'université Yale. En d'autres termes, c'est une pente qui décline progressivement. Bref, c’est la merde. Nouvelle réjouissante cependant, depuis la loi du 2 aout 2021, les femmes de 29 à 37 ans peuvent faire congeler leurs ovocytes. Les patientes bénéficient de la gratuité. C’est une grande avancée puisque cela permet d’avoir la main sur cette histoire d’horloge biologique et d’alléger le poids de cette épée de Damoclès. A l’instar de toutes les bonnes nouvelles on constate quelques contreparties : les listes d’attentes sont longues, il faut parfois s’inscrire un an à l’avance et les premières prises d’ovocytes peuvent s’avérer non concluantes à cela s’ajoute les dérèglements hormonaux provoqués par le protocole et si les ovocytes sont vieux ils risquent de s’abimer. D’après Hany Mostafa, gynécologue-obstétricien à l’University Hospital of Hartlepool and North Tees : « we are lacking any long term data on this, so you cannot tell a woman it is totally safe ».
A contrario, si notre profil de trentenaire ne correspond pas aux normes attendues, le mythe sexiste de la « vieille fille à chat » s’active dans les regards. Lorsqu’on vit dans une grande ville on est souvent bien plus épargnées que dans les milieux ruraux et il faut le dire, culturellement on ne représente pas encore assez de femmes au parcours heureux sans partenaire et sans enfant. Depuis me-too les milieux féministes militants ont investi la question et d’ailleurs en huis clos, s’émanciper de la norme est perçu comme un acte de déconstruction presque héroïque (ce qui peut également s’avérer excluant pour les femmes et les personnes qui souhaitent pourtant embrasser cette norme) mais aussitôt sorti de l’entre-soi le récit dominant reprend forme. Je crois que lire des femmes qui sont heureuses sans enfant nous permet de jauger plus objectivement nos envies personnelles car plus il y aura de témoignages plus nous pourrons nous projeter, nous identifier et ainsi sonder nos désirs en ayant du recul sur les performances sociales de la mère, de l’épouse, de la « copine de », de la girlboss.
La trentaine lorsqu’on est une femme, c’est se poser ce genre de question ou en tout cas commencer à y songer.
Je suis arrivée à Paris assez tardivement, à l’âge de vingt sept ans pour le travail. Je suis professeure de lettres-modernes. C’est en arrivant que j’ai compris que j’avais raté mon transfuge de classe. Cette anecdote qui s’étend fatalement dans le temps fait rire mes potes. Le métier que j’exerce, (si je mets de côté l’institution) est tout simplement incroyable. J’ai le privilège d’être rémunérée pour lire des textes et transmettre leurs enjeux à la jeunesse. Ah oui, ça aussi ça met un petit coup lorsqu’on est en lien avec les jeunes, se rendre compte qu’on est « le ou la jeune » de seconde zone. La nouvelle génération ce n’est plus nous. Aussi beau ce métier est-il, il demande cinq ans d’études, des concours exigeants qui invitent à mettre nos vies entre parenthèses durant un ou deux ans si ce n’est plus. La rémunération n’est absolument pas proportionnelle à l’engagement et à l’importance que ce métier incarne dans la société. Alors en arrivant à Paris, je me suis rendu compte que tous ces efforts déployés durant ma vingtaine faisaient de moi une bientôt trentenaire sans capitale économique vivant dans un vingt mètres carrés. Autour de moi j’observais naïvement mes camarades professeurs ayant accédés à la propriété en intramuros, j’avais le sentiment d’avoir mal compris quelque chose, puis j’ai réalisé que pour être un professeur et propriétaire à Paris, il fallait que nos parents alignent au moins cent mille euros d’apport pour acheter trente mètres carrés. A la capitale ou ailleurs l’apport compte et la question de l’héritage et des inégalités de naissance pointent le bout de leur nez. On peut évidemment revenir sur la notion de propriété mais disons que la trentaine est l’âge qui invite à prendre en considération la question et à se lancer, et nous ne partons pas toustes du même endroit pour prétendre à ce projet de vie là. Alors si comme moi vous avez été élève boursier (ou que vous n’êtes tout simplement pas privilégié économiquement) que vous avez passé beaucoup de temps le nez dans les livres sans pouvoir mettre de côté ou sans avoir songé à l’éducation financière qui échappe aux classes moyennes et ouvrières je crois qu’il est temps de se déculpabiliser à trente ans. C’est bon on respire. Moi aussi j’ai été bercée par le mythe des études longues pour réussir. D’ailleurs réussir qu’est-ce que ça veut dire, telle est la question Hamlet.
Les ami.e.s, voici venu le temps des réjouissances ! Quoi qu’on nous dise, retenons bien une chose, nous sommes jeunes, encore oui, et à cette nouvelle jeunesse se superpose une meilleure connaissance de soi car à trente ans on a bourlingué comme dirait l’autre. Nous avons vécu l’enfance, la préadolescence, l’adolescence, l’adulescence, l’after-twenty five. Trente ans de vie, c’est énormément d’années à se découvrir au contact des autres, des expériences professionnelles qui nous permettent d’observer l’adéquation ou non avec certaines entreprises, on connait les valeurs qui nous composent et celles qu’on souhaite défendre et dans la vie et/ou dans la sphère pro. Ne sous-estimons pas cet aspect, regardons nos parents, nous sommes les générations qui refusons le CDI à vie. Nous avons remis au centre de nos existences des préoccupations de bien être et de sens. Se couper de l’aliénation c’est conscientiser le système et notre place au sein de ce dernier. Beaucoup de néo-trentenaires épousent cette vision, en un sens nous sommes plus libres que les générations précédentes.
La trentaine, c’est aussi se déculpabiliser de certaines injonctions. Quel trentenaire culpabilise de lire un livre une tisane à la main un samedi soir ? Et tant pis pour la FOMO, elle ira là où se trouve notre dernière relation houleuse, dans les tréfonds de l’oubli ! Nous avons beaucoup performé, un idéal de genre, un idéal professionnel, un idéal amoureux, un idéal militant, bref un idéal. Nous n’avons rien d’idéal nous sommes nous. A prendre ou à laisser. Et dans nos relations amoureuses d’ailleurs ça se sent ! Si vous êtes né.e.s comme moi dans les années 90s on se sait, l’amour romantique nous a mangé le cerveau. Par peur de ne pas plaire ou de ne pas être « assez », en amour ou en amitié nous avons cédé à une sorte de contorsion sociale. A trente ans on analyse nos besoins mais aussi nos failles et les endroits sur lesquels nous devons travailler, on parvient à poser ses limites et de là jaillit un début d’alignement qu’on désespérait de connaitre à la vingtaine.
Maintenant vous prenez deux secondes pour vous applaudir.
Je vous regarde. Allez !
Je crois aussi qu’à trente ans nait le sens des priorités. On est peut-être un peu moins passionné.e mais plus apaisé.e, organisé.e. Ce début de sagesse est important. Sagesse étymologiquement vient du latin « sapere » qui signifie « avoir du gout, de la saveur » et au figuré en parlant des humains « avoir du gout et du discernement ». Des atouts importants pour s’ancrer dans la vie et dans son rapport aux autres, la sagesse est également une base solide pour affronter les épreuves futures car plus nous vieillissons plus les gens que nous aimons prennent de l’âge. Au lieu de détourner le regard, je crois que l’ancrage de la trentaine nous aide à trouver des ressources suffisantes dans notre expérience de vie pour observer cette vérité et y faire face. Nous étions déjà fort.e.s, à trente ans on se l’avoue ouvertement.
Autre point mélioratif, tout transfuge en rémission que nous sommes, on gagne notre pain et de fait nous sommes plus libres qu’à la vingtaine. Je crois que nous n’avons pas besoin de tergiverser sur la question.
Dernier point pour conclure : Qu’aimeriez vous dire au trentenaire que vous êtes ou celui à venir ?
Je me souhaite de croire en moi, de m’organiser afin d’agencer l’existence de mes rêves, de rester curieuse et active, car parfois les trentenaires ont tendance à se complaire dans le conformisme, mais on n’évolue pas depuis son matelas. Achetons de bons ressorts !
Cœur sur vous !
Melinda